Qu'est-ce que le déficit énergétique en glucose ?
Le déficit énergétique en glucose (glucose energy gap) est un concept développé par Stephen Cunnane et son équipe de l'Université de Sherbrooke (Québec, Canada) qui étudie le métabolisme du cerveau et son vieillissement.
Ce terme désigne une quantité d'énergie cérébral qui manque au cerveau pour fonctionner normalement et qui correspond à une diminution de l'utilisation du glucose, un phénomène qui apparaît notamment dans le vieillissement et la maladie d'Alzheimer, mais pas uniquement.
Le cerveau, bien que dépendant du glucose, voit avec l'âge une altération de son transport et de son métabolisme, ce qui entraîne une réduction de l’absorption du glucose détectable par imagerie PET (FDG-PET).
Cunnane a mis en évidence ce déficit en comparant le métabolisme du glucose et celui des cétones, montrant que si le glucose est mal utilisé dans certaines régions cérébrales clés (cortex cingulaire postérieur, cortex préfrontal), les corps cétoniques restent une source d’énergie efficace.
Ses travaux ont montré que l’augmentation de la disponibilité des cétones, via un régime cétogène ou la supplémentation en triglycérides à chaîne moyenne (MCT), permet de réduire cet écart énergétique et d’améliorer certaines fonctions cognitives. Cette découverte suggère que le déclin cognitif dans la maladie d’Alzheimer n’est pas seulement lié aux dépôts amyloïdes et aux protéines tau, mais aussi à une insuffisance chronique d’énergie dans le cerveau, ouvrant ainsi la voie à des stratégies nutritionnelles visant à restaurer l’approvisionnement énergétique neuronal.
Le déficit énergétique cérébral en glucose : un marqueur précoce du déclin cognitif
Les travaux de cette équipe ont profondément transformé la compréhension des mécanismes énergétiques du cerveau et de leur rôle dans les maladies neurodégénératives. Une de leurs découvertes majeures a été que le déficit d’apport cérébral en glucose précédait le développement des troubles cognitifs souvent de 20 à 30 ans.
D'autres équipes ont , et proposé une hypothèse neuroénergétique de la maladie d'Alzheimer, suggérant que la diminution de la disponibilité des ressources énergétiques métabolisables dans le système nerveux central joue un rôle clé dans la pathogenèse de la maladie.
Cette baisse énergétique serait principalement due à un déclin lié à l’âge de la capacité du glucose à traverser la barrière hémato-encéphalique. Par la suite, Zulfiqar et al. ont révisé cette hypothèse en proposant un nouveau mécanisme physiopathologique sous-jacent à la MA. Selon eux, l’hypométabolisme cérébral du glucose constitue un événement précoce de la maladie, résultant d’un déficit dans le soutien des besoins physiologiques neuronaux, principalement causé par un déséquilibre du transport du lactate entre les neurones et les astrocytes. Cette révision de l’"hypothèse neuroénergétique" suggère ainsi un rôle central des astrocytes dans la physiopathologie de la MA. Ce postulat semble cohérent avec des travaux antérieurs de 2015, qui indiquaient que l’hypertrophie et les lésions astrocytaires surviennent précocement dans la progression de la MA.
tels que le mild cognitive impairment (MCI), un état intermédiaire entre le vieillissement normal et la maladie d'Alzheimer. Ce déficit énergétique est souvent corrélé à une résistance à l'insuline, et peut être détecté bien avant l’apparition des premiers signes cliniques.
1. Le cerveau et son besoin énergétique : le rôle du glucose et des cétones
Le cerveau est un organe extrêmement dépendant de son approvisionnement en énergie. Il consomme environ 20% de l’énergie totale du corps, bien qu'il ne représente que 2% du poids corporel. Cette énergie est majoritairement fournie par le glucose, mais en cas de restriction en glucose, les corps cétoniques (issus de la dégradation des acides gras) peuvent devenir une source alternative.
Les recherches de Cunnane montrent que chez les individus âgés ou présentant une résistance à l'insuline, le cerveau devient de moins en moins efficace pour capter et utiliser le glucose. Cette diminution progressive du métabolisme du glucose crée un glucose energy gap, un déficit énergétique qui ne peut être compensé sans un apport suffisant en cétones. Or, ce déficit énergétique est détectable avant même l’apparition de signes cliniques de déclin cognitif.
2. Le glucose energy gap précède la neurodégénérescence
Les études menées par Cunnane et son équipe, utilisant l'imagerie par TEP (tomographie par émission de positons), ont démontré que le métabolisme du glucose dans le cerveau est réduit de 10 à 15 % chez les personnes atteintes de MCI et jusqu'à 20 à 30 % dans les cas avancés d’Alzheimer.
Ce déficit métabolique n’est pas seulement un symptôme de la maladie, mais un marqueur précoce de son développement. Il peut être observé plusieurs années avant l’apparition des troubles cognitifs. Les zones les plus affectées sont souvent celles impliquées dans la mémoire et la cognition, comme l’hippocampe et le cortex cingulaire.
Une des conséquences de cet hypométabolisme cérébral est l’apparition de symptômes neuropsychologiques bien avant le diagnostic officiel d’un trouble neurodégénératif :
- Fatigue cognitive
- Difficulté de concentration
- Troubles de l’humeur et anxiété
- Migraine et sensibilité accrue aux stimuli externes
3. Résistance à l'insuline et hypométabolisme cérébral
L’un des aspects les plus troublants des découvertes de Cunnane est le lien entre résistance à l’insuline et hypométabolisme cérébral. En effet, le cerveau dépend en grande partie de l’insuline pour réguler l’absorption du glucose dans certaines régions cérébrales.
Chez les personnes atteintes de résistance à l’insuline – comme dans le diabète de type 2 – on observe souvent une diminution de l’efficacité du transport du glucose dans le cerveau. Ce phénomène, parfois appelé diabète de type 3, est fortement associé à un risque accru de maladie d’Alzheimer.
L’importance de ce phénomène est devenue encore plus évidente lorsque Cunnane et son équipe ont étudié de jeunes femmes atteintes d’un syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), une maladie endocrinienne multifactorielle impliquant une résistance modérée à l’insuline, des troubles de la fertilité et un excès d’androgènes.
4. SOPK et glucose energy gap : un profil métabolique préoccupant dès la jeunesse
Les recherches ont révélé que ces jeunes femmes atteintes de SOPK présentaient un déficit d’absorption du glucose cérébral d’environ 14 % dans le cortex frontal supérieur et moyen – un profil métabolique semblable à celui observé chez les personnes âgées de 70 à 80 ans (Castellano et al., 2015a).
Ce constat est alarmant, car il suggère que la dysrégulation du glucose cérébral peut commencer dès la deuxième ou la troisième décennie de vie, bien avant qu’un déclin cognitif ne devienne apparent (Burns et al., 2013 ; Ishibashi et al., 2015).
En analysant plus précisément l’absorption du glucose dans différentes régions du cerveau, les chercheurs ont observé que plus la résistance à l’insuline était élevée, plus l’absorption cérébrale du glucose était faible. Cette relation inverse a également été retrouvée avec la glycémie à jeun, renforçant l’idée que les altérations métaboliques systémiques influencent directement le cerveau.
De plus, des recherches récentes montrent que chez les jeunes femmes atteintes de SOPK, la résistance à l’insuline ne se limite pas à un simple problème métabolique mais affecte aussi la structure du cerveau. En effet, des études ont mis en évidence des altérations de la microstructure de la substance blanche ainsi que des déficits de mémoire de travail (Castellano et al., 2015a ; Rees et al., 2016).
Ces résultats suggèrent que les troubles métaboliques associés au SOPK pourraient jouer un rôle clé dans l’apparition progressive d’un profil énergétique cérébral altéré, prédisposant potentiellement à un risque accru de déclin cognitif en vieillissant. Toutefois, des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer si cette tendance peut être inversée par des interventions précoces.
5. Vers une solution : le rôle des cétones et de l’alimentation cétogène
Face à ces découvertes, Stephen Cunnane et son équipe ont exploré des moyens de réduire le glucose energy gap et de restaurer un métabolisme cérébral optimal. Une des approches les plus prometteuses est l’utilisation des cétones comme carburant alternatif.
Les études montrent que lorsqu’un individu adopte un régime cétogène (riche en lipides et pauvre en glucides) ou consomme des suppléments de cétones exogènes (comme les esters cétoniques ou l’huile MCT), le cerveau parvient à utiliser ces cétones pour combler une partie du déficit énergétique.
Des essais cliniques ont démontré que chez les personnes atteintes de MCI ou de troubles métaboliques, l’augmentation du taux de cétones dans le sang améliore la cognition, réduit la fatigue mentale et stabilise l’humeur.
6. Conclusion : Un changement de paradigme dans la prévention du déclin cognitif
Les travaux de Cunnane révèlent un changement de paradigme majeur dans la compréhension des maladies neurodégénératives. Plutôt que de considérer la maladie d’Alzheimer comme un phénomène irréversible apparaissant tardivement, ces recherches suggèrent qu’un déficit énergétique cérébral en glucose est un facteur précoce et modifiable.
Ce déficit ne concerne pas seulement les personnes âgées, mais aussi celles qui souffrent de résistance à l’insuline, de troubles métaboliques et potentiellement de SOPK dès la jeunesse.
En prenant conscience du rôle essentiel des cétones comme source énergétique alternative, il devient possible d’envisager des stratégies nutritionnelles et métaboliques préventives pour réduire le risque de troubles cognitifs, bien avant que les premiers symptômes n'apparaissent.